Le soleil était haut et brillait de tout son éclat dans un ciel bleu sans tache. Il faisait une chaleur torride et il n’y avait pas un brin d’air pour rafraîchir l’atmosphère. Léa et Loïc jouaient dans le jardin sur la balançoire sous l’œil absent de leur mère, assise en tailleur sur la terrasse, un livre à la main. Elle ne lisait pas mais regardait ses enfants s’amuser comme elle aurait contemplé la beauté froide d’une toile de musée, comme si elle était totalement étrangère au spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Elle ne devrait jamais éprouver ce genre de sentiment, pensa-t-elle : c’était indigne d’une mère. Pourtant, ce n’était pas la première fois qu’elle avait cette sensation. Ces derniers mois, cela s’était répété à plusieurs reprises sans qu’elle ne puisse ni empêcher l’apparition de ce sentiment, ni en comprendre l’origine. Elle releva la tête et la secoua pour faire sortir ce qu’elle considérait comme de lamentables réflexions. Soudain, le carillon de l’entrée retentit.
« Ca sonne, Maman ! Ca sonne… » entonna Léa de sa voix suraiguë.
Maman inclina la tête et esquissa un sourire pour signifier à sa progéniture qu’elle avait entendu. Au bout d’un instant, elle posa le livre sur la dalle brûlante de la terrasse et se leva. Elle alla répondre. Elle marcha pieds nus et le carrelage de la maison, à l’abri des rayons du soleil derrière les volets tirés à demi, lui parut à moitié gelé. Son allure était particulière et ne ressemblait à nulle autre. Elle se dandinait d’une façon tout à fait féminine, tout en posant le pied légèrement à l’extérieur à la manière d’un cow-boy. De dos, cela soulignait la taille mince de la jeune femme et renforçait le contraste d’un tour de hanches avec une relative étroitesse d’épaules. Cette dernière entourait une poitrine d’une dimension moins prononcée que l’ordinaire l’aurait voulue. Ses cheveux blonds étaient délicieusement en désordre et, arrivée devant le panneau de la porte, elle les réajusta d’un geste délicat. Elle ouvrit.
Le jeune homme planté dans l’encadrement, sembla un instant surpris. Avait-elle vraiment une tête de folle, se demanda la jeune maman. Le type s’assura de l’identité de son interlocutrice.
« Vous avez des origines russes ? » demanda-t-il.
La jeune femme haussa un sourcil.
« Je ne crois pas… »
« Je demandais cela comme cela… C’est votre prénom… » dit le jeune homme voyant que le fondement de sa question n’était clair que pour lui.
« Ah, oui… »
Voyant que son interlocutrice ne semblait pas vouloir répondre à sa question, le coursier enchaîna.
« Bon. J’ai un colis pour vous, Madame. Pourriez-vous me remplir ce bon, s’il vous plaît ? »
La jeune femme posa un doigt sur ses lèvres et considéra le morceau de papier d’un œil hagard. Au bout de quelques secondes, elle releva la tête et demanda d’une voix qui laissait supposer qu’elle revenait d’une contrée cérébrale assez lointaine.
« Vous auriez un stylo ? »
« Bien sûr, Madame… Tenez, voici. Je vais vous chercher la marchandise pendant que vous faites ceci. »
Le mot marchandise était volontaire décalé par rapport au contexte, et la jeune femme crut utile de laisser échapper un sourire. Elle remplit le bon nerveusement. Elle ne savait pas exactement pourquoi, mais elle sentait une tension évidente s’emparer d’elle. Elle ignorait la nature du colis et lorsqu’elle regarda la case de l’expéditeur, elle vit le prénom de sa mère. Le destinataire était clairement elle, avec son nom de fille de surcroît. Elle comprit alors, avec un léger retard, la raison pour laquelle le jeune homme avait tant insisté sur son nom. Sur le coup, elle n’avait pas remarqué. Quelle bizarrerie avait-il pris à sa mère lorsqu’elle avait fait l’envoi ? Son mariage n’était ni récent, ni en instance de rupture, pas même dans une période délicate. La jeune femme se dit qu’elle poserait la question à sa mère la prochaine fois qu’elle l’aurait au téléphone.
« Vous avez terminé ? » demanda le coursier.
Elle lui tendit le bon et le stylo. En retour, elle prit la petite boîte qu’il lui présentait.
« Merci. »
« Merci à vous, Madame et bonne fin de journée… »
« Bonne journée. »
Elle referma la porte. Elle fixa le colis d’un œil intrigué. Son imagination lui commanda que c’était une clef. Pourquoi ? Elle ne savait pas, juste une idée comme cela. Elle retourna sur la terrasse, et dans le jardin, les enfants jouaient toujours sur la balançoire.
*
« C’est quoi, Maman ? C’est un cadeau ? » demanda Léa qui faisait décidément une chanson de tout.
« Oui, c’est quoi ? » renchérit Loïc.
Maman attendit quelques secondes avant de répondre.
« C’est Mamie qui m’envoie cela, ma Maman, et… Je ne sais pas ce que cela contient… »
Elle commença de déballer la boîte. A l’intérieur, il y avait un paquet plus petit qui laissait supposer qu’il s’agissait d’un livre et une lettre l’accompagnait. Elle l’ouvrit et lut.
Ada,J’ai trouvé ce livre en débarrassant le petit meuble qui était à l’époque dans ta chambre et qui avait fini dans la cave. Ton père est dans sa période de grand nettoyage de printemps quoique cela ne soit plus de saison et veut le mettre aux encombrants. Je l’ai donc vidé et je suis tombé sur ce bouquin. Il a certes l’apparence d’un simple livre de poche et tu l’as sûrement déjà lu mais, d’une part, je ne me souvenais pas de quand tu avais pu l’acheter et d’autre part, une chose singulière était coincée entre les pages. Je pense que tu sauras de quoi il s’agit car, de mon côté, cela ne me rappelle rien. Je suis quasiment sûre que c’est à toi.A bientôt, je t’embrasse,Maman.
Ada replia la lettre. Elle était de plus en plus intriguée par le paquet.
« Alors Maman, c’est quoi ? »
Ses deux loustics étaient plantés devant elle et trépignaient d’impatience après sa réponse. En lisant la lettre, Ada avait complètement oublié leur présence.
« Je ne sais toujours pas, mes chéris, mais c’est personnel. Retournez vous amuser, s’il vous plaît, mes puces. Je vous le dirais plus tard. »
Comme un duo parfaitement réglé, les deux bambins pivotèrent sur leurs petites jambes et, les sourcils froncés, déçus de ne pas avoir contenté leur curiosité, retournèrent vers la balançoire en se tenant par la main. Ada les regarda s’éloigner et une fois qu’elle les jugea à bonne distance, elle commença de défaire le paquet.
Ce qu’elle découvrit, ce fut effectivement un livre de poche, un roman qui avait un succès certain en son temps. Comment l’avait-elle eu ? Elle s’en souvenait parfaitement. Elle feuilleta rapidement les pages à la recherche de la chose dont sa mère parlait dans sa missive. Mais elle savait déjà ce qu’elle allait trouver. Un nombre incalculable d’images lui revint en mémoire.
Ada releva la tête. Les enfants s’amusaient toujours sur la balançoire, mais leurs rires parurent s’éloigner petit à petit, et cette vision s’effaça pour laisser à la place à d’autres.
Le soleil était haut et brillait de tout son éclat dans un ciel bleu sans tache. Il faisait une chaleur torride et il n’y avait pas un brin d’air pour rafraîchir l’atmosphère. Léa et Loïc jouaient dans le jardin sur la balançoire sous l’œil absent de leur mère, assise en tailleur sur la terrasse, un livre à la main. Elle ne lisait pas mais regardait ses enfants s’amuser comme elle aurait contemplé la beauté froide d’une toile de musée, comme si elle était totalement étrangère au spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Elle ne devrait jamais éprouver ce genre de sentiment, pensa-t-elle : c’était indigne d’une mère. Pourtant, ce n’était pas la première fois qu’elle avait cette sensation. Ces derniers mois, cela s’était répété à plusieurs reprises sans qu’elle ne puisse ni empêcher l’apparition de ce sentiment, ni en comprendre l’origine. Elle releva la tête et la secoua pour faire sortir ce qu’elle considérait comme de lamentables réflexions. Soudain, le carillon de l’entrée retentit.
« Ca sonne, Maman ! Ca sonne… » entonna Léa de sa voix suraiguë.
Maman inclina la tête et esquissa un sourire pour signifier à sa progéniture qu’elle avait entendu. Au bout d’un instant, elle posa le livre sur la dalle brûlante de la terrasse et se leva. Elle alla répondre. Elle marcha pieds nus et le carrelage de la maison, à l’abri des rayons du soleil derrière les volets tirés à demi, lui parut à moitié gelé. Son allure était particulière et ne ressemblait à nulle autre. Elle se dandinait d’une façon tout à fait féminine, tout en posant le pied légèrement à l’extérieur à la manière d’un cow-boy. De dos, cela soulignait la taille mince de la jeune femme et renforçait le contraste d’un tour de hanches avec une relative étroitesse d’épaules. Cette dernière entourait une poitrine d’une dimension moins prononcée que l’ordinaire l’aurait voulue. Ses cheveux blonds étaient délicieusement en désordre et, arrivée devant le panneau de la porte, elle les réajusta d’un geste délicat. Elle ouvrit.
Le jeune homme planté dans l’encadrement, sembla un instant surpris. Avait-elle vraiment une tête de folle, se demanda la jeune maman. Le type s’assura de l’identité de son interlocutrice.
« Vous avez des origines russes ? » demanda-t-il.
La jeune femme haussa un sourcil.
« Je ne crois pas… »
« Je demandais cela comme cela… C’est votre prénom… » dit le jeune homme voyant que le fondement de sa question n’était clair que pour lui.
« Ah, oui… »
Voyant que son interlocutrice ne semblait pas vouloir répondre à sa question, le coursier enchaîna.
« Bon. J’ai un colis pour vous, Madame. Pourriez-vous me remplir ce bon, s’il vous plaît ? »
La jeune femme posa un doigt sur ses lèvres et considéra le morceau de papier d’un œil hagard. Au bout de quelques secondes, elle releva la tête et demanda d’une voix qui laissait supposer qu’elle revenait d’une contrée cérébrale assez lointaine.
« Vous auriez un stylo ? »
« Bien sûr, Madame… Tenez, voici. Je vais vous chercher la marchandise pendant que vous faites ceci. »
Le mot marchandise était volontaire décalé par rapport au contexte, et la jeune femme crut utile de laisser échapper un sourire. Elle remplit le bon nerveusement. Elle ne savait pas exactement pourquoi, mais elle sentait une tension évidente s’emparer d’elle. Elle ignorait la nature du colis et lorsqu’elle regarda la case de l’expéditeur, elle vit le prénom de sa mère. Le destinataire était clairement elle, avec son nom de fille de surcroît. Elle comprit alors, avec un léger retard, la raison pour laquelle le jeune homme avait tant insisté sur son nom. Sur le coup, elle n’avait pas remarqué. Quelle bizarrerie avait-il pris à sa mère lorsqu’elle avait fait l’envoi ? Son mariage n’était ni récent, ni en instance de rupture, pas même dans une période délicate. La jeune femme se dit qu’elle poserait la question à sa mère la prochaine fois qu’elle l’aurait au téléphone.
« Vous avez terminé ? » demanda le coursier.
Elle lui tendit le bon et le stylo. En retour, elle prit la petite boîte qu’il lui présentait.
« Merci. »
« Merci à vous, Madame et bonne fin de journée… »
« Bonne journée. »
Elle referma la porte. Elle fixa le colis d’un œil intrigué. Son imagination lui commanda que c’était une clef. Pourquoi ? Elle ne savait pas, juste une idée comme cela. Elle retourna sur la terrasse, et dans le jardin, les enfants jouaient toujours sur la balançoire.
*
« C’est quoi, Maman ? C’est un cadeau ? » demanda Léa qui faisait décidément une chanson de tout.
« Oui, c’est quoi ? » renchérit Loïc.
Maman attendit quelques secondes avant de répondre.
« C’est Mamie qui m’envoie cela, ma Maman, et… Je ne sais pas ce que cela contient… »
Elle commença de déballer la boîte. A l’intérieur, il y avait un paquet plus petit qui laissait supposer qu’il s’agissait d’un livre et une lettre l’accompagnait. Elle l’ouvrit et lut.
Ada,
J’ai trouvé ce livre en débarrassant le petit meuble qui était à l’époque dans ta chambre et qui avait fini dans la cave. Ton père est dans sa période de grand nettoyage de printemps quoique cela ne soit plus de saison et veut le mettre aux encombrants. Je l’ai donc vidé et je suis tombé sur ce bouquin. Il a certes l’apparence d’un simple livre de poche et tu l’as sûrement déjà lu mais, d’une part, je ne me souvenais pas de quand tu avais pu l’acheter et d’autre part, une chose singulière était coincée entre les pages. Je pense que tu sauras de quoi il s’agit car, de mon côté, cela ne me rappelle rien. Je suis quasiment sûre que c’est à toi.
A bientôt, je t’embrasse,
Maman.
Ada replia la lettre. Elle était de plus en plus intriguée par le paquet.
« Alors Maman, c’est quoi ? »
Ses deux loustics étaient plantés devant elle et trépignaient d’impatience après sa réponse. En lisant la lettre, Ada avait complètement oublié leur présence.
« Je ne sais toujours pas, mes chéris, mais c’est personnel. Retournez vous amuser, s’il vous plaît, mes puces. Je vous le dirais plus tard. »
Comme un duo parfaitement réglé, les deux bambins pivotèrent sur leurs petites jambes et, les sourcils froncés, déçus de ne pas avoir contenté leur curiosité, retournèrent vers la balançoire en se tenant par la main. Ada les regarda s’éloigner et une fois qu’elle les jugea à bonne distance, elle commença de défaire le paquet.
Ce qu’elle découvrit, ce fut effectivement un livre de poche, un roman qui avait un succès certain en son temps. Comment l’avait-elle eu ? Elle s’en souvenait parfaitement. Elle feuilleta rapidement les pages à la recherche de la chose dont sa mère parlait dans sa missive. Mais elle savait déjà ce qu’elle allait trouver. Un nombre incalculable d’images lui revint en mémoire.
Ada releva la tête. Les enfants s’amusaient toujours sur la balançoire, mais leurs rires parurent s’éloigner petit à petit, et cette vision s’effaça pour laisser à la place à d’autres.
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